Tribune

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Appel aux parlementaires pour la fin de l’état d’urgence

Octobre 2021

Décidé en mars 2020 pour prendre des mesures d’urgence face au développement soudain d’une pandémie alors mal connue, l’état d’urgence sanitaire a depuis été renouvelé à sept reprises, sous des appellations diverses. Il doit prendre fin au 15 Novembre. Il n’a plus aucune justification d’un point de vue constitutionnel, sanitaire et politique. En proposant de maintenir un état d’urgence sanitaire « de précaution » pour des raisons dont personne ne peut prévoir la durée, le gouvernement ancre dans notre république le renforcement des pouvoirs administratifs au détriment des pouvoirs du législateur et du juge, et renverse un principe fondateur de notre démocratie qui affirme que « la liberté est la norme, les restrictions l’exception ».

L’état d’urgence, rappelons-le à nouveau, consiste en une suspension des libertés et du fonctionnement démocratique normal de notre République au motif d’un péril grave et immédiat pour la Nation. Il est fondé sur l’idée qu’en ces circonstances exceptionnelles des décisions doivent être prises par l’exécutif en urgence, dans un délai de quelques jours, non compatible avec le temps nécessaire aux délibérations du Parlement. Ces décisions peuvent impliquer des restrictions ou suspensions temporaires des libertés fondamentales des citoyens. Elles doivent être justifiées, proportionnées et limitées dans le temps.

Aujourd’hui, nous l’affirmons avec force, rien ne justifie le maintien de l’état d’urgence sanitaire.

Sur le plan sanitaire, il faut s’en réjouir, tous les indicateurs sont au vert. Le nombre d’hospitalisations dues au Covid est, selon Santé Publique France, au plus bas, le taux de positivité est descendu à 1 % après un pic à 5 % en août 2021, le nombre de décès est tombé en dessous de 40/jours, soit 2 % de la mortalité totale (de l’ordre de 1600/ jours  selon l’INSEE) et le taux de reproduction est de 0.8 ce qui signifie que l’épidémie va vers sa fin. L’épidémie est bien mieux connue que lors de sa première vague en mars 2020, et les moyens pour la combattre aussi. Il faut s’en réjouir, et rien dans la situation sanitaire actuelle ne présage donc un péril grave et imminent pour la Nation qui justifierait de prolonger la suspension des libertés et du fonctionnement normal de notre République. Si un péril devait à nouveau surgir dans les prochains mois, le parlement a montré sa capacité à réagir rapidement, et on ne voit pas ce qui l’empêcherait de voter un nouvel état d’urgence limité dans le temps si les circonstances l’exigeaient. Le Conseil Scientifique déclare d’ailleurs dans son avis du 5 octobre que l’efficacité du passe sanitaire pour protéger les individus est “limitée” et “difficile à mettre en évidence”, et que son arrêt rapide voire immédiat est envisageable, tout en intensifiant la stratégie de Tester Alerter Protéger.

D’un point de vue constitutionnel, l’état d’urgence doit garder son caractère d’exception.        Le Conseil Constitutionnel a réaffirmé le 5 août dernier que « les mesures réglementaires prises sur le fondement des dispositions contestées ne peuvent, sous le contrôle du juge, l’être que dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. »

Le Conseil d’Etat a rappelé pour sa part, le 19 juillet dernier, que “ si la prorogation de l’état d’urgence a pour effet de maintenir applicable l’ensemble des pouvoirs conférés au Premier ministre par les dispositions des 1° à 10° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le prononcé de chacune de ces mesures est soumis, sous le contrôle du juge, à la condition qu’elle soit, dans son principe comme dans sa portée, sa durée et son champ d’application territorial, strictement nécessaire, adaptée et proportionnée aux risques sanitaires encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu. Il doit y être mis fin dès que ces conditions ne sont plus remplies. »

Le système du “passe sanitaire”, mesure phare de la dernière loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, doit ainsi être abrogé. Non seulement parce qu’il est discriminatoire et provoque une grave fracture sociale et des tensions dans toute la société, jusqu’au sein des familles. C’est un dispositif attentatoire aux libertés qui ne se justifierait qu’en cas de nouvelle urgence sanitaire et devrait a minima faire preuve d’une certaine efficacité, ce qui ne semble pas le cas puisque le Conseil Scientifique lui-même a estimé dans son avis du 5 octobre que l’efficacité du passe sanitaire pour protéger les individus était “limitée” et “difficile à mettre en évidence”. L’obligation du passe sanitaire est désormais complètement disproportionnée. Le Conseil d’Etat a ainsi  « appelé l’attention du Gouvernement sur la circonstance que l’appréciation ainsi portée sur le caractère proportionné de l’atteinte aux libertés fondamentales résultant de l’application du dispositif devrait nécessairement être réévaluée, soit en cas d’amélioration des perspectives sanitaires concernant les hospitalisations et admissions en soins critiques, soit s’il était décidé de rendre payants les tests de dépistage ou encore de limiter leur durée de validité.

Sur le plan politique, l’état d’urgence est un poison pour la démocratie et une drogue dure pour le gouvernement. Il a été utilisé pour créer un contexte exceptionnel dans lequel ont été adoptées des lois contenant des restrictions de liberté n’ayant qu’un rapport lointain avec l’épidémie (lois sécurité globale, séparatisme, etc.).  En renforçant les pouvoirs conférés aux autorités administratives, il renforce la défiance des citoyens envers les institutions, et envers le Parlement en particulier. Celui-ci apparaît comme une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif, décisions prises dans le cadre d’un conseil de défense opaque, dont les délibérations sont secrètes. Cette défiance des citoyens n’est que renforcée par la faiblesse ou la défaillance des contre-pouvoirs, y compris celui du Conseil Constitutionnel, garant des libertés fondamentales, qui n’a pas saisi l’occasion de cette crise exceptionnelle pour exercer enfin sur l’appréciation par le législateur des risques qu’il invoque un véritable contrôle de proportionnalité, comme c’est le cas des plus grandes cours constitutionnelles européennes, en écrivantIl n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l’appréciation par le législateur de ce risque, dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente.“ La poursuite de l’état d’urgence ne pourrait que renforcer ces tendances, aggraver l’abstentionnisme et le discrédit de notre démocratie, ouvrant la voie à des dérives autoritaires de tous bords. Il appartient au Parlement d’y mettre fin sans délai.

Ainsi, sur les plans sanitaire, constitutionnel et politique, tout plaide pour la levée de l’état d’urgence sanitaire. Pourtant, le gouvernement justifie son souhait de poursuivre cet état d’urgence par la nécessité de pouvoir réagir à tout moment face à d’éventuelles nouvelles reprises de l’épidémie, avec l’un des innombrables variants déjà détectés notamment ou pour d’autres causes encore inconnues. Il invente ainsi le concept d’état d’urgence “de précaution”. Qui ne peut voir que cette interprétation ouvre la voie à un état d’urgence permanent au nom du principe de précaution, puisque les périls à venir sont de plus en plus nombreux et probables, qu’il s’agisse du changement climatique, de la perte de biodiversité, de l’épuisement de certaines ressources, ou de zoonoses ? Il faudrait donc accepter la fin de la démocratie parlementaire et de la séparation des pouvoirs, et son remplacement par un régime autoritaire où l’exécutif fait la loi dans de très nombreux domaines, incluant la liberté de circulation, le respect du secret médical, la protection des données personnelles, le droit de réunion et manifestation, l’accès aux soins et aux biens et services essentiels, incluant le sport et la culture. Un régime ou “la liberté deviendrait l’exception, les restrictions la norme”  !

Il appartient au Parlement de mettre fin sans délai au jeu de dupes actuel, qui confère à l’exécutif toujours plus de marge de manœuvre a priori et cautionne l’utilisation de politiques de santé publique contraignantes pour demeurer dans un contexte politique lui garantissant toutes les attentions médiatiques à la veille d’une année d’élection présidentielle

Nous appelons fermement à ne pas prolonger l’état d’urgence sanitaire et le passe sanitaire au-delà du 15 novembre.

Auteurs de la tribune

Les Citoyens en Alerte : Amélie CASTELLANET, historienne de l’art – Christian CASTELLANET, agronome écologue – Sophie GOASGUEN, artiste-peintre – Aline HUBERT, Hydrogéologue – Jean-François KIBLER, agronome – Sara MELKI, paysanne agronome – Xavier MIGNON, consultant.

Premiers signataires

Jean-Christophe BERLIOZ, Magistrat, membre du Syndicat de la Magistrature – Didier BLANC, Professeur de Droit Public, Université Toulouse 1 Capitole – Matteo BONAGLIA, Avocat au Barreau de Paris – Ariane BOURGEOIS, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine – Déborah BOYER, Juge des enfants – Nohra BOUKARA, avocat, adhérente du Syndicat des avocats de France – Éloi BUAT-MÉNARD, Magistrat – Chantal CARPENTIER, Docteur d’Etat en droit, Maître de conférences retraitée – Elise CARPENTIER, Agrégée de droit public, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille – Christine CLAUDE-MAYSONNADE, Avocat à Tarbes – Léonard DAILLY, avocat au barreau de Paris, membre du syndicat des avocats de France – Laura GANDONOU, Avocate au Barreau de Lyon – Dominique GANTELME, Médiatrice / Avocat au Barreau de Paris – Dominique GIACOBI, Avocat – Gilles J. GUGLIELMI. Directeur du Centre de Droit public comparé (CDPC) – Université Paris II Panthéon-Assas – Audrey KANDALA, Avocat au Barreau de Paris – Sylvie LAGARDE Magistrat honoraire – Elina LEMAIRE, Universitaire, spécialiste de droit public – Noémie LEMAY, Juge de l’application des peines – Caroline MECARY, Avocate aux barreaux de Paris et du Québec, Membre du Conseil national des barreaux, ancien membre du Conseil de l’Ordre – Christopher POLLMANN, Professeur des universités agrégé de droit public, Université de Lorraine – Marc RICHEVAUX, Magistrat MCF ULC – Alexandre Bergamini, Écrivain- Luc Quintin, Médecin anesthésiste réanimateur (retraité), chargé de recherches au CNRS. 

La démocratie menacée

Tribune citoyenne, Juillet 2021.  Pour en finir avec l’État d’Urgence et retrouver la démocratie 

Le temps est compté : le gouvernement, à nouveau, a réussi à prendre la démocratie de court pour imposer sans débats son agenda liberticide et inefficace. S’il franchit le contrôle constitutionnel, la vie de tous les français sera irrémédiablement changée, sans retour en arrière possible, comme l’expérience de l’état d’urgence sans cesse prolongé nous le montre. Comme il n’existe aucun critère objectif ou constitutionnel pour caractériser cet état de crise, et que les variants du Covid vont probablement se multiplier en rendant à chaque fois de nouvelles vaccinations nécessaires, le risque est grand qu’on ne tombe dans un état d’urgence permanent, avec la banalisation d’un gouvernement centralisé et autoritaire autour de la seule personne du Président et de son conseil de défense secret, un affaiblissement des contre-pouvoirs, et une société du contrôle et du fichage généralisé. C’est en fait à un véritable changement de régime auquel nous sommes confrontés. 

En approuvant le projet de loi prolongeant l’état d’urgence et élargissant le passe sanitaire aux activités quotidiennes, notre Parlement et le Conseil d’Etat ne semblent pas en prendre la pleine mesure. Notre dernier rempart : le Conseil constitutionnel, gardien des libertés et de la Constitution. S’il venait à valider cette loi,  les conséquences pourraient être très lourdes pour la société française. 

Ces mesures vont créer une redoutable fracture sociale.  Le gouvernement vient de désigner un ennemi à l’intérieur de la Nation, en érigeant les non-vaccinés en boucs émissaires et en dressant les citoyens les uns contre les autres. Une grande partie de la population française refuse la mise en place d’une société de contrôle et l’obligation de vaccination déguisée imposée par l’élargissement du passe sanitaire. L’autisme de l’exécutif et de sa majorité politique vis-à-vis de cette partie de la population nous conduit tout droit vers un nouveau cycle contestation –  répression – durcissement nuisible à l’ensemble du pays et dangereux pour notre démocratie. La France n’a pas besoin d’ajouter une crise de la fraternité à la crise sociale et sanitaire. C’est pourquoi il faut sans attendre préparer une sortie par le haut.

Nous appelons à un sursaut républicain, tous partis confondus. Il faut sortir de cette situation en négociant la fin du passe sanitaire et de l’état d’urgence en toute intelligence, avec nuance et avec efficacité. Il est urgent de remettre la démocratie sanitaire et la démocratie tout court en marche en prenant le temps d’un vrai débat démocratique. 

Nous appelons à l’organisation sans délai d’une conférence nationale sur les mesures liberticides de gestion de la crise imposées par notre gouvernement. Cette conférence organiserait un vrai débat démocratique ouvert à toutes les organisations de la société civile, aux corps intermédiaires, aux élus locaux et aux acteurs économiques. Elle permettrait ainsi de renouer le dialogue entre les citoyens et ses institutions. Elle formulerait des propositions de gestion de crise respectueuse de nos libertés et du fonctionnement démocratique. Elle pourrait être organisée par le CESE par exemple.  

Les Citoyens en alerte

Les Citoyens en Alerte est un collectif de veille et d’action citoyennes créé en mai 2020 lors de la première prolongation de l’État d‘Urgence Sanitaire en procédure accélérée. Il alerte systématiquement les parlementaires et les citoyens sur les décisions et les actions du Gouvernement et du Parlement qui attentent à nos libertés fondamentales et fragilisent le fonctionnement démocratique. A-partisan, il appelle à l’organisation de débats contradictoires qui permettent à tout un chacun de se forger son opinion sur la crise sanitaire et la façon dont elle est gérée. https://citoyensenalerte.wordpress.com 

Auteurs de la tribune

Les Citoyens en Alerte : Amélie CASTELLANET, historienne de l’art – Christian CASTELLANET, agronome écologue – Jean-François KIBLER, agronome – Sara MELKI, paysanne agronome – Xavier MIGNON, consultant. 

Signataires de la tribune

Tous ceux qui souhaitent signer cette tribune citoyenne peuvent le faire en envoyant leur nom, profession à l’adresse suivante:  citoyens@mailo.com

Idriss ABIOLA, infirmier anesthésiste – Nathalie ABIOLA, Assistante RH – Pascale ALLANIC GABSI, professionnel de santé (psychologue hospitalière) – Gad AMAR, enseignant – Adèle ANDRÉ, juriste – Sendegul ARAS, avocat au barreau de Strasbourg – Marc ARER, docteur – Anne ATLAN, directrice de recherche CNRS – Frédéric BADEL, psychiatre – Christine BALTHAZAR SENECHAU, enseignante – Hélène BANOUN, pharmacien biologiste, PhD, ancien chercheur INSERM, ancien interne des hôpitaux de Paris, membre du Conseil Scientifique Indépendant – François BARILLON, enseignant – Dr Benoît BATAILLE, anesthésiste-réanimateur – Murielle BAUCHET, Consultante – Denis BELLANO, docteur en psychologie, psychologue clinicien, psychothérapeute et universitaire – Delphine BENSAÏD, psychologue – Monique BERNARDINI, retraitée de l’enseignement – André BERNOLD, The Johns Hopkins University – Dr. Alain BERTHIER, médecin généraliste, agrégée de droit public, professeur à l’Université d’Aix-Marseille – Line CABOT, Médecin généraliste – Cécile BLANCHARD, pharmacien titulaire – Marianne BORDENAVE-JACQUEMIN, enseignant-chercheur en biologie – Stephanie BOULET, médecin – Marie-Laure CADART, médecin et anthropologie – Dr Nathalie CARADOT, médecin généraliste – Serge CARFANTAN, docteur agrégé de philosophie – Chantal CARPENTIER, docteur d’Etat en droit, maître de conférences retraitée – Elise CARPENTIER, Agrégée de droit public, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille – Dr Mathieu CARPENTIER, Chirurgien dentiste – Pierre CASSOU-NOGUES, professeur, département de philosophie, université Paris 8 – André CAYOL, enseignant chercheur retraité de l’UTC / Sorbonne – Bertrand CHARRIER, directeur de l’IUT des Pays de l’Adour, professeur des universités – Dr Daniel CHOLLET, pneumologue Aubagne – Dr Hélène CHOLLET, médecin généraliste Marseille – Christine CLAUDE-MAYSONNADE, avocat – Dr Girard CLAUDON, médecin généraliste – Emilien COLIN, pharmacien – Léo COULBAULT, Ingénieur Hydraulique – Mireille COULON, masseur kinésithérapeute, cadre de santé, à la retraite – Henri COURIVAUD, Université de Lyon III – Jean-Christophe COUSIN, maître de conférences – Benedicte DASSONVILLE, médecin, psychanalyste, ingénieure horticole – Eloïse DE CHABALIER, professionnelle de santé – François DE CHABALIER, médecin psychiatre, ancien épidémiologiste – Dr Hélène DE CRISTOFORO, médecin généraliste retraitée – Martine DEJEAN, pharmacienne – Sand DEK, psychologue, GHT Grand Paris Nord Est – Christophe DEKINDT, médecin généraliste – Didier DELAITRE, médecin légiste, Le Bourget – Mathias DELORI, chargé de recherche CNRS en sciences politiques – Michel DESHAIES, professeur de géographie, Université de Lorraine – Thierry DEVER, éducateur spécialisé retraité et sociologue – Alain DEVILLE, physicien, professeur émérite Aix-Marseille Université – Danielle DEVILLE, professeure CPGE, sciences physiques, retraitée, Marseille – Marnix DRESSEN-VAGNE, sociologue, professeur émérite UVSQ / Paris-Saclay – Gilles DUCHEMIN, Psychologue – Psychothérapeute – Laurent DURINCK, anesthésiste – Gaëlle DUROY, Aesh – Dr Daniela ENGEL, médecin généraliste – Jean-Pierre EUDIER, président European Forum for Vaccine Vigilance – Evelyne FARGIN, professeur émérite Université Bordeaux – Sandrine FONTAINE LANDRU, pharmacien – Cécile FORTANIER, docteur en économie de la santé, ingénieur hospitalier – François FRANCHOMME, ingénieur travaux à la mairie de Paris – Dr Murielle FRANÇOIS, pédiatre – Christine FRANCOISE, infirmière en soins généraux – Michel FRECHINA, musicien – Heike FREIRE, pédagogue – Monique FUENTE, artiste – Renaud GABET, maître de conférences – Roland GABRIELLI, Praticien Relaxation Bio-dynamique – Natacha GALET, psychologue clinicienne – Christakis GEORGIOU, politiste, Université de Genève – Pascale GILLOT, maître de Conférences en philosophie, Université de Tours – Félix GILOUX, critique d’art – Anne GINESTET, professeur de français – Dr Françoise GIORGETTI – D’ESCLERCS, médecin ORL – Valérie GIRAUD, sage-femme – Leila GOFTI-LAROCHE, PharmD, PhD Epi, Praticien Hospitalier en CHU – Sarah GOURDON, kinésithérapeute – Frédéric GRILLOT, Sc. D., The University of New-Mexico, Center for High Technology Materials, USA – Jacqueline GRIMA, chercheur CNRS – Boris GROSS, pharmacien – Laure GUÉRARD, enseignante, syndiquée à la CGT Educ 06 – Nadia HANTALI, Juriste – Alexandra HENRION CAUDE, généticienne, directeur de recherche, SimplissimA Institute – Julien HERLEIN, professeur de sciences et technologies de la santé et du social, Éducation nationale – Docteur Luc JACQUIS, médecin psychiatre psychothérapie – Dr. Dominique JAULMES, médecin retraitée – Isabelle JOUSSET, artiste – Diane KERGOËT, Ancien travailleur social, récemment salarié en restauration – Jean-Luc KOP, enseignant-chercheur Université de Lorraine  – Annie LABADIE-FOBIS,  médecin généraliste – Agnès LAINÉ, Historienne – Dr Florence LAIR, médecin radiologue – Eugenia LAMAS, chercheur Inserm en éthique de la recherche biomédicale – Bernard LAMIZET, professeur d’université à Sciences Po Lyon à la retraite – Nadia LAMM, professeur de philosophie / formatrice de professeurs retraitée – Dr Emmanuelle LANDRAUD, médecin généraliste – Dr. Christian LATRICHE, Cabinet d’Homéopathie-Acupuncture – Sylvie LAVAL, psychiatre – Michèle LECLERC-OLIVE, ARTeSS-IRIS-CNRS-EHESS  – Michelle LECOLLE, maître de conférences HDR en sciences du langage – Dr Alain LE HYARIC, Médecin Santé Publique Paris – Dr Emmanuelle LEMONNIER, médecin généraliste – Dr Claire LENCLUD, docteur en médecine – Dr Jean-Pierre LETOURNEUR, hépato-gastroentérologue – Rémy LHOEST, Educateur sportif – Julie LIORÉ, rédactrice scientifique indépendante – Cécile LOTH, médecin – Loïc MANCINI, Responsable magasin PRA – Alain-Philippe MANIETTE, médecin généraliste – Anne-Lise MAREE-GLATRE, sage-femme – Benoit MARPEAU, historien, maître de conférences à l’Université de Caen-Normandie – Delphine MARTIN, soignante – Lucia MARTINEZ, aide médico-psychologique – Geneviève MASSARD-GUILBAUD, historienne, directrice d’études à l’EHESS – Dr Eric MENAT, docteur en médecine – Claire MERIC, mère de famille et professeur de français langue étrangère – Emmanuelle MESMACQUE, infirmière – Guillaume MESMACQUE, Masseur Kinésithérapeute – Anne-Elisabeth MIGEON, diététicienne / nutritionniste – Françoise MONTPEYROUX, médecin de santé publique – Véronique MORAND, hypnothérapeute – Caroline MOUZET, médecin – Jean-Baptiste MOUZET médecin – Laurent MUCCHIELLI, sociologue, directeur de recherche au CNRS – Patrick NAVEZ, chercheur à l’Université de Loughborough – Dr Etienne NOLLEZ, médecin généraliste échographiste titulaire d’un master 2 de génie biologique pharmaceutique et alimentaire – Dr Emmanuel ODET, médecin – Thierry ORSIÈRE, PhD, HDR, ingénieur de recherche en toxicologie génétique, Aix Marseille Université – Dr. Stéphane OTTIN PECCHIO, rhumatologue, hypnothérapeute musicien thérapeute, praticien attaché au Centre d’Évaluation et de Traitement de la Douleur de l’Hôpital Tenon (CETD) – Lucien Samir OULAHBIB, docteur Paris IV (HDR Lyon3) – Nadège PANDRAUD, sociologue, maître de conférences à l’Université de Lille – Christine PASQUIER, thérapeute, formatrice en développement personnel et relation d’aide, coach de vie, praticienne en cohérence cardiaque – Jean Louis PASQUIER, thérapeute,  formateur en développement personnel et relation d’aide, praticien en cohérence cardiaque – Mathias PAUL, ostéopathe – Maryse PECHEVIS, avocat à la Cour – Caroline PETIT, chercheuse au CNRS – Frank PETITJEAN, Ingénieur de recherche – Roland PFEFFERKORN, professeur émérite de sociologie – Docteur Frédéric PIC, Rhumatologue retraité – Patricia PIZZORNI, Retraitée – Christophe POLLMANN, professeur des universités agrégé de droit public, Université de Lorraine – Gilles PRAT, formateur retraité – Dr Fabien QUEDEVILLE, médecin généraliste – Christine QUÉLIER, sociologue – Marie-Christine RABUT, médecin généraliste – Christine RAPENEAU, enseignante retraitée Education Nationale – Sylvie RAUZIER, assistante de gestion administrative – Cécile RAYNAL, sophrologue sonothérapeute – Olivier RENARD, agroéconomiste – Arnaud REY, chercheur en psychologie au CNRS – Simon REY-DORENE, ostéopathe – Docteur François RIBIÈRE, médecin généraliste retraité – Marc RICHEVAUX, Magistrat MCF ULC – Denis RIEGEL, médecin – Dr. Francesca RIGOTTI, Philosophe – Dr Louise RIGUET, psychiatre – Ghislain ROQUET, kinésithérapeute libéral – Shanti ROUVIER, docteur en psychologie clinique et psychopathologie – Sophie SABATIER, Médecin – Jutta SCHICHT, éducatrice spécialisée – Marguerite SCHNELL, infirmière d’anesthésie – Raphaël SENDREZ, kinésithérapeute et ostéopathe  – Matthieu SMYTH, professeur chercheur Université de Strasbourg  – Jean SOLDINI, philosophe et historien de l’art – Dr Hubert SROUSSI, médecin généraliste – Natacha STANOJEVIC, infirmière – Gauthier STEIN, employé libre service – Gilles TALPACH, Gérant scop douctouyre – Françoise TERNOY, psychomotricienne à la retraite  – Michel TERNOY, Psychologue de la FPH à la retraite, docteur d’Etat ès Lettres et Sciences Humaines – Stéphane TESSIER, médecin de santé publique – Paul TOUBOUL, professeur de cardiologie à l’université Lyon 1, ancien médecin des hôpitaux – Jean-Jacques VANHOLLEBEKE, professeur d’histoire – Nicolas VÉDRINES, kinésithérapeute – Ludivine VERLOT-MORY, Orthophoniste – Aurélia VESSIÈRE, PhD, virologiste, épidémiologiste – Marc VINIT, retraité – Christine VITRY, Pharmacien démissionnaire – Pierre WEKSTEIN, Musicien – Stéphane WOJNAROWSKI, ingénieur et sociologue – Dr Martine WONNER, psychiatre, députée du Bas Rhin – Joël XAVIER, professeur des écoles  – Frédérique YAMPOLSKY, infirmière retraitée – Manuel ZACKLAD, professeur CNAM – Maria ZEI, Mouvement Roosevelt

Tribune

L’état d’urgence sanitaire ou la destitution du Parlement

Tribune coordonnée par le Collectif Les Citoyens en alerte

Le vote définitif par l’Assemblée Nationale de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire donnant des pouvoirs exorbitants au gouvernement, le samedi 7 novembre 2020, pourrait bien marquer un tournant funeste pour notre démocratie. Par cette loi, en effet, il ne s’agit pas seulement de permettre des restrictions de nos libertés fondamentales sans précédent en temps de paix[1] mais bien d’abandonner pour six mois tout débat démocratique et parlementaire sur ces mesures. 

La différence avec la première période d’état d’urgence sanitaire instaurée en mars, c’est que dans le cas de la « deuxième vague » de l’épidémie de covid-19, une partie du Parlement a résisté, et même vaillamment combattu, à cette « remise des clés au gouvernement pour 6 mois » [2], avec des arguments forts, des demandes et même des propositions tout à fait légitimes. Le 29 octobre 2020, le Sénat a refusé de voter la confiance au gouvernement en s’opposant à la déclaration du gouvernement sur les nouvelles mesures sanitaires (voir ici). Il a voté des amendements importants pour limiter la durée et l’ampleur de l’état d’urgence[3]. A l’Assemblée Nationale, l’opposition a proposé ces mêmes amendements. Elle a même réussi à faire voter une limitation de la durée de l’état d’urgence jusqu’à la mi-décembre et un passage devant le Parlement pour un confinement après le 30 novembre, à la faveur de l’absence d’une partie de la majorité la nuit du 3 au 4 novembre dans l’hémicycle. On connait la colère que cela a provoquée chez le Ministre de la Santé, qui a bloqué les amendements votés par l’Assemblée Nationale par le « vote de réserve ». Le refus obstiné du gouvernement et de la majorité (LREM et Modem) de négocier le moindre amendement a abouti, après cinq séances parlementaires, et de nombreuses heures de débat, à l’adoption du texte pratiquement inchangé tel qu’il avait été rédigé par le gouvernement. C’est un gouvernement qui réussit ainsi à gouverner seul, sans réel contre-pouvoir parlementaire et surtout sans écouter les voix de la pluralité démocratique.

Or, que dit ce texte ? 

Il octroie au gouvernement soixante-dix habilitations à légiférer par ordonnances, sans aucun débat ni discussion sur le contenu de ces ordonnances, pendant quatre mois, et ce dans un grand nombre de domaines dont certains sont très éloignés des questions sanitaires. Il vise en outre à prolonger cette gestion pendant encore deux mois dans un régime dit « de sortie d’état d’urgence », issu d’une loi du 9 juillet 2020, et qui est en réalité une poursuite à peine édulcorée de l’état d’urgence, avec seule différence que le Premier ministre ne peut plus imposer un confinement. En termes simples, le gouvernement décide seul dans de très nombreux domaines, restreignant nos libertés fondamentales pendant six mois, et cela sans avoir de comptes à rendre au Parlement qui est totalement exclu de la décision. Il peut même décider de retarder les élections régionales, c’est un moindre mal peut-on penser, mais que se passerait-il si l’état d’urgence aboutissait à reporter les élections présidentielle et législatives ? Dans l’immédiat, la liberté de manifestation a été drastiquement restreinte, comme l’a montré le 6 novembre la répression administrative d’une manifestation parfaitement légitime et opportune des soignants protestant contre la fermeture de l’Hôtel-Dieu en pleine pandémie (voir ici). 

Que dit notre Constitution ? 

Ni l’état d’urgence (2005-2015), ni l’état d’urgence sanitaire (2020) ne sont des régimes explicitement prévus par notre Constitution, contrairement aux pleins pouvoirs présidentiels en cas de crise (art. 16) et à l’état de siège (art. 36). Ce sont des régimes institués par la loi et qui, selon la jurisprudence, permettent « une extension limitée dans le temps et dans l’espace des pouvoirs des autorités civiles, sans que leur exercice se trouve affranchi de tout contrôle » (Conseil d’Etat, Ordonnance de référé Boisvert du 21 novembre 2005). Il en résulte « que la durée de prorogation de l’état d’urgence [réservée au législateur après le premier déclenchement par l’Exécutif] ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence » (voir ici), le juge administratif devant s’assurer que les mesures de police administrative prises dans ce cadre soient « adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivit » (voir ici et la).

En effet, l’état d’urgence est un régime qui empiète sur la compétence réservée du Parlement pour fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » (art. 34). Il donne des pouvoirs étendus et exceptionnel au pouvoir exécutif, notamment au Premier ministre et aux préfets, pour des restrictions exceptionnelles – et drastiques – des libertés fondamentales protégées par la Constitution et le droit international : le droit au respect de la vie privée, les libertés d’aller et venir, de réunion, d’expression, et la liberté d’entreprendre. L’état d’urgence sanitaire est donc un régime dangereux car il menace l’équilibre et la séparation des pouvoirs et la garantie des droits consacrées par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Et le Conseil constitutionnel ?

Face à cela, on aurait espéré que le Conseil Constitutionnel, garant des libertés et de la démocratie inscrites dans notre Constitution, accepterait les demandes des députés et des sénateurs pour limiter dans son ampleur et sa durée excessives la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Il s’est contenté au fond de dire que puisque le Parlement avait autorisé l’état d’urgence pour 6 mois, il était légal[4] même s’il n’était pas prévu dans la Constitution (voir ici) ! Il n’a à aucun moment cité le fait que l’équilibre des pouvoirs était un fondement essentiel de la démocratie[5]. En l’occurrence, il a jugé, d’un trait de plume, que la durée de l’état d’urgence sanitaire de 4 mois était justifiée car « cette appréciation (…) n’était pas manifestement inadéquate au regard de la situation présente de l’ensemble du territoire français ». On se demande si le Conseil Constitutionnel a lu la note du conseil scientifique citée qui indique pourtant qu’« il est très difficile de prévoir combien de temps va durer la 2ème vague, car cela dépend du virus lui-même, de son environnement climatique, des mesures qui vont être prises pour limiter la circulation du virus, de leur acceptation et donc de leur impact » (voir ici, Chap. IV, p19). Le Conseil Constitutionnel n’avait donc pas besoin d’être spécialiste en épidémiologie pour constater que la durée proposée par le gouvernement n’avait aucune base scientifique et ne s’appuyait sur aucune justification claire, hormis celle d’éviter de repasser au Parlement une nouvelle fois. Rien ne justifiait donc le choix de prolonger l’état d’urgence sanitaire de 5 mois (en tenant compte du régime dit « de sortie »), au contraire il aurait été logique de réexaminer la situation au bout du deuxième mois, ou au plus tard fin décembre.  

L’inscription de l’EUS dans le droit commun 

Le gouvernement a déjà rentré le principe de l’état d’urgence sanitaire dans le « droit commun » par l’article 2 de la loi du 23 mars 2020 (applicable jusqu’au 1er avril 2021) pour faire face à l’épidémie de Covid 19.  L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré à tout moment sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités d’outre-mer en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population.

Le gouvernement et le législateur ont par ailleurs déjà prévu la mise en place d’un dispositif pérennisant certaines mesures prises dans le cadre de l’urgence sanitaire. Le Parlement sera saisi d’ici janvier 2021 d’un projet de loi à cet effet (voir ici), créant ainsi des pouvoirs exorbitants de police administrative que l’Exécutif peut exercer sans même avoir besoin de l’autorisation du Parlement, ce qui est inacceptable dans un système démocratique. 

Par ailleurs, on a bien vu également que le régime d’urgence servait à justifier le passage de lois liberticides sans aucun rapport avec la question sanitaire, comme la fameuse loi sécurité globale examinée ces jours–ci en procédure accélérée, la loi sur la recherche, ou la loi Avia de contrôle de l’internet, qui a été retoquée par le Conseil constitutionnel, mais pour combien de temps ?

Même si cela ne devait rester qu’une situation exceptionnelle, malheureusement un tel système laisse toujours des séquelles. Ce n’est pas sans raison que, lors des débats de la Commission mixte paritaire, le sénateur Arnaud de Belenet s’inquiétait de la mise en place dans la durée d’un état d’urgence sanitaire : « avec six mois de pouvoirs exceptionnels exorbitants, on crée un précédent dangereux et, si la tentation populiste devait prévaloir lors de prochains scrutins nationaux, cela pourrait avoir des conséquences funestes ». De plus, cela s’est produit sans que la majorité de nos concitoyens ne se rende compte de la gravité de ces évolutions, et sans forte réaction des organisations de défense des libertés. Comme l’a dit sur France Inter la politologue Chloé Morin, « quand on ne sera plus en démocratie, on ne s’en rendra même pas compte ».  

Perte de confiance des citoyens, augmentation des tensions sociales, risques de dérive populiste autoritaire

L’absence de lieu de débat public sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le sentiment de ne pas être consultés ni entendus par le gouvernement, qui décide sur un modèle centralisé, autoritaire et descendant, à partir des « conseils de défense » et sur la base des opinions d’une poignée de technocrates et d’experts cooptés, placent les citoyens dans une situation où les seules alternatives sont la soumission et souvent la dépression, ou la révolte et le refus. Cette situation est aux antipodes de l’adhésion souhaitable des citoyens au programme de lutte contre l’épidémie et décourage les bonnes volontés et les initiatives locales. 

Dans la mesure où ce même gouvernement a diffusé des messages contradictoires durant la première phase de l’état d’urgence sanitaire et qu’il a maintenu, avec les médias publics, une communication essentiellement basée sur la peur, le doute s’est installé au sein de la population. Ce doute est propice au développement de théories du complot et à la circulation de rumeurs les plus folles, mélangées à des critiques fondées et qui mériteraient un débat éclairé. L’absence de discussion sur les mesures à prendre pour contrer l’épidémie ne fait que renforcer cette absence de pluralisme (voir ici). Tout ceci crée une profonde division de la société entre partisans de mesures toujours plus répressives, et ceux qui les refusent soit en bloc, soit dans le détail car elles apparaissent non fondées ou inéquitables. Selon Hannah Arendt, les régimes totalitaires prennent un pouvoir « total » sur les individus en les exposant à des informations contradictoires, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus aucun moyen de savoir où se trouve la vérité (H. Arendt, Les origines du totalitarisme).

L’accumulation des régimes d’urgence, qu’ils soient sécuritaires ou sanitaires, et la facilité avec laquelle le Parlement, dominé par la majorité présidentielle, se démet de ses pouvoirs, posent une vraie question pour l’avenir de notre démocratie et le respect de nos libertés fondamentales. Nous avons vécu 952 des 1829 journées écoulées depuis le 14 novembre 2015 sous état d’urgence. L’exception est devenue la norme. Quand l’urgence sécuritaire s’est ajoutée à l’urgence sanitaire, on a vu la facilité avec laquelle le gouvernement a fait passer des lois sécuritaires réduisant durablement nos libertés fondamentales dans tous les domaines : liberté de manifestation, liberté d’expression, liberté d’aller et venir, liberté de la presse, liberté de culte, liberté d’association, droits de la défense, droits des étrangers…  on peine à trouver un domaine qui n’ait pas, sur la période récente, fait l’objet de remises en cause (Stéphanie Hennette Vauchez).  Et on peut craindre que les crises se multiplient dans les prochaines années, crises climatiques, écologiques, économiques et sociales…  Cela justifiera-t-il un état d’urgence sans fin, donc la suspension de fait de notre système démocratique ?

Que faire pour sortir de la crise démocratique ?

Nous, le collectif les Citoyens en Alerte, avons au cours des derniers mois inlassablement interpellé les parlementaires en leur demandant avant tout de garder le contrôle de l’état d’urgence sanitaire, puis de la sortie de cet état d’urgence, et maintenant de sa nouvelle prolongation. Nous avions cru, sans doute naïvement, que le Conseil constitutionnel pourrait valider un certain nombre de propositions des sénateurs et députés visant à mieux encadrer l’état d’urgence sanitaire en réduisant son ampleur. Aujourd’hui, quelles options restent aux citoyens et à la société civile ?

  1. Tout d’abord, nous devons continuer à interpeller nos élus pour que l’état d’urgence sanitaire cesse le plus rapidement possible. Le Conseil Constitutionnel a lui-même recommandé qu’il soit mis fin à l’état d’urgence sanitaire dès lors qu’il n’y aura plus d’urgence sanitaire immédiate : « En dernier lieu, quand la situation sanitaire le permet, il doit être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi le prorogeant ».
  • Nous proposons ensuite que soit créé un conseil national ou une convention citoyenne de suivi de l’état d’urgence sanitaire, comme cela a été proposé par plusieurs parlementaires.[6] Une pétition pour une convention citoyenne sur le renouveau démocratique est en ce moment même en cours sur le site de l’assemblée nationale.
  • Parallèlement, et sans attendre, pourraient être créés des Conseils décentralisés de suivi du Covid, associant des parlementaires, les élus locaux, les professionnels de santé, les experts et la société civile pour ouvrir le débat sur la crise sanitaire et socio-économique, ainsi que sur les mesures prises au niveau des régions en particulier.
  • Nous devons également nous mobiliser pour empêcher le passage en urgence de lois liberticides non liées à l’état d’urgence sanitaire.
  • Nous devons aussi nous mobiliser contre le passage de la prochaine loi de pérennisation de la gestion de l’urgence sanitaire, que le gouvernement compte bien présenter dans trois mois, afin d’éviter qu’elle serve à pérenniser des mesures d’urgence également liberticides (voir ici).
  • Enfin, force est de constater qu’il faut, à plus long terme, réviser la Constitution pour mieux assurer l’équilibre des pouvoirs et mieux garantir les libertés. La durée de l’état d’urgence pourrait être plafonnée à 12 jours (comme dans la loi de 1955 pour l’état d’urgence « sécuritaire »), son renouvellement impliquant un nouveau passage au Parlement. Par ailleurs, la procédure d’urgence parlementaire ne pourrait pas être déclenchée, en période d’état d’urgence, sur un texte dont l’objet ne se rapporte pas directement au motif même qui a déclenché l’état d’urgence. Cet état doit être spécialement motivé, d’une durée limitée, et contenir des mesures strictement proportionnées à leur objectif[7]


Pour signer la tribune nous envoyer un mail ici. en indiquant si vous voulez signer, votre nom et profession.

Les signataires

Collectif « Les Citoyens en alerte »

Christian Castellanet, Agronome et écologue

Sara Melki, Agro-paysanne

Aline Hubert, Hydrogéologue

Jean-François Kibler, Agroéconomiste 

Amélie Castellanet, Historienne de l’art

Caroline Mouzet, Médecin

Jean Baptiste Mouzet, Médecin

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Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS

Elise Carpentier, Professeur agrégé de droit public

Christopher Pollmann, Professeur des universités agrégé de droit public, Université de Lorraine-Metz

Gilles J. Guglielmi, Professeur des universités (droit public)

Caroline Guibet Lafaye, philosophe et sociologue

Marc Richevaux, Magistrat, Maître de Conférences ULC 

André Bonnet, Avocat au barreau de Marseille, Ancien président des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel

Christian Celdran, Administrateur Civil honoraire

Gustave Massiah, Economiste

Michèle Leclerc-Olive, sociologue et mathématicienne, association CIBELE

Jérôme Escalier, porte-parole de la Confédération Paysanne de Saône et Loire

Christophe Pelletier, Médecin anesthésiste

Rémi Favresse, Auto entrepreneur

Christine Claude-Maysonnade, Avocat

Jean-Marc Touzet, Zoologue

Patrice Kibler, Retraité de l’Education Nationale

Maryse Pechevis, Avocate pénaliste à Montpellier

Ariane Bourgeois, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

Carine Mosca, Chargée de production

Martin Kern, Travailleur humanitaire

Léa Zaslavsky, Directrice d’association

Catherine Perroud, Agroéconomiste, conseillère municipale

Frédéric Jacquemont, Juriste

Pauline Kempf, Violoniste

Elsa Colonna, Business Development Manager

Jutta Schicht, Educatrice spécialisée

Anne Ginestet, Professeur

Véronique Ahari, Médecin

Anne Victoria Fargepallet, Avocate et naturopathe

Docteur Eve Villemur, Médecin, homéopathe, nutritionniste, thérapeute en TCC

Clara Penaguilla, travailleur social

Joël Penaguilla, monteur vidéo

Julien Buabent, Formateur indépendant en développement web

Guillaume Basquin, Commandant de bord et éditeur

Jean Soavi, Ingénieur hydraulicien

Quentin Blaise, Cadre en transition professionnelle

Adèle André, Juriste

Félix Giloux, Critique d’art

Pascal Genneret, Artiste chansonnier 

Patrick Vassallo, Militant associatif, responsable ESS

Pedro Vianna, Poète, homme de théâtre, enseignant en mastère

Daniel Vey, Militant associatif Yonne

Joo Zimmermann, Agronome

Cécile Neveu, Conseillère en insertion professionnelle

Quentin Ballin, Ingénieur agro-développement

Louis Fouché, médecin anesthésiste-réanimateur

Marie-Claude Bouchet, médecin anesthésiste retraitée

Lénaïg Dianéa, chef d’entreprise 

Benoît Masson, artiste peintre

Christine Fiselier, enseignante

Sophie Lambert-Wiber, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, habilitée à diriger des recherches

Philippe Bonnier, Retraité, Cameraman cinéma et télévision

Martine Dierickx, infirmière retraitée

Philippe Dierickx, agronome retraité

Gilles Moulard, chauffeur livreur

Marc Cognard, Professeur de biologie

Aurore Mansion, anthropologue

Roxane Favresse, actuellement demandeuse d’emploi

Thibaud Daprémont, historien de l’art

Thérèse Récalde, demandeuse d’emploi

Aurélie Vogel, Agronome

Bénédicte Soullier, Paysanne

Didier Marion, Paysan

Nicole Karsenti, Médecin

Cécile Teilhaud, Médecin généraliste à Lons 64140 

Sabine de Monvallier, Médecin généraliste

Elisabeth Quintana, Assistante Promotion-Tourisme

Jean-Christophe Kibler, Musicien

Véronique Berrien, Coach et écrivain-conseil

Camille Jahel, Chercheuse CIRAD

Jean-Louis Marchetti, Agrégé de mathématiques

Yves Russell doctorant à l’EHESS, et enseignant d’histoire-géo

Christophe Letellier, Consultant sécurité, Toulouse

Eva Bruce-Rabillon, enseignant-chercheur en droit public  

Richard Meuterlos, commerçant

Blanche Magarinos-Rey, Avocate au Barreau de Paris

Sara Kibler, Etudiante en sciences politiques et sociologie/Assistante de projet à l’Institut für Europäische Politik e.V. de Berlin

Odile Kibler Desbenoit, psychomotricienne

Demonté Nathalie,  médecin généraliste

Stéphanie Cavé, Agronome

Thomas Riché, Kinsithérapeute

Benjamin Corteel, sociologue

Ingénieur BTP (retraité), expert de justice

Gilles Prat, Formateur retraité


[1] Ces mesures peuvent être prises dans le cadre d’un péril sanitaire à condition d’être justifiées, proportionnées et strictement limitées dans le temps.

[2]  Selon l’expression du Député Philippe Gosselin défendant le rejet préalable lors des débats de l’AN le 24 Octobre

[3] En particulier, il a voté une limitation du temps de l’état d’urgence sanitaire au 31 janvier 2021 au lieu du 16 février 2021, abrogé l’article 2 de la loi instaurant un régime dit de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021, et mis une injonction au gouvernement de repasser devant le Parlement pour voter une prolongation du confinement au-delà du 8 décembre, et diminué de 70 à 30 le nombre d’habilitations à légiférer par ordonnances.

[4] « Il appartient au législateur, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés »  

[5] Alors même que dans sa décision du 11 mai 2020 sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, il avait étendu son contrôle à la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République, dans sa décision du 13 novembre 2020, le conseil constitutionnel semble avoir restreint le champ de son contrôle au caractère manifestement inadéquat de la loi.

[6]  Les parlementaires ont fait des suggestions dans ce sens, notamment celle d’instaurer un comité national de suivi de l’état d’urgence sanitaire, composé du Premier ministre, des ministres compétents, du directeur général de la santé, deux représentants du comité scientifique, d’un représentant par formation politique représentée au Parlement, d’un représentant par groupe politique de l’Assemblée Nationale et du Sénat et d’un représentant par association nationale d’élus locaux. Celui-ci se réunirait une fois par semaine avec des délibérations publiques. C’est une structure intéressante car elle permettrait plus de transparence pour les citoyens. Selon le Sénateur Pascal Savoldelli, ce comité permettrait d’« exercer un contrôle réactif et jouer un rôle de boîte à idées ». Le député François Ruffin a proposé quant à lui une convention citoyenne sur le coronavirus afin d’associer « toutes les parties prenantes ».

[7]    Ceci pourrait également passer par une nouvelle interprétation de l’article 16 qui inclurait les divers états d’urgence, le recours à cet article demeurant conditionné par l’existence de circonstances vraiment exceptionnelles et ayant d’ores et déjà en ce sens une très forte connotation politique et historique.